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« Il faut dire que les temps ont changé… », notes de lecture

Notes de lecture du livre de Daniel Cohen : « Il faut dire que les temps ont changé… », Albin Michel, Paris, 2018

Daniel Cohen nous rappelle la thèse de Jean Fourastié [1] : la société industrielle qui travaille la matière a succédé à la société agraire qui cultivait la terre ; elle s’effondrera à son tour pour laisser place à la société des services dont la matière première est l’homme lui-même. La valeur générée dans ce nouveau contexte concerne le temps passé par l’homo digitalis avec ses congénères, matériel non extensible. Le modèle économique conventionnel fondé sur une croissance permanente est alors bousculé. Comme l’avait déjà illustré Jean Fourastié, on peut accroître la production de blé, la quantité d’un appareil électroménager produite par heure, mais pas significativement le nombre de coupes de cheveux.

Le livre est facilement accessible à tous et sa construction en trois parties est efficace.
La première partie — « Partir, revenir » — analyse avec intelligence et lucidité l’effondrement de la société industrielle. Après mai 68, sa critique de l’exploitation des travailleurs et du modèle consumériste du marché, les années 70 ont vu la désillusion de ceux qui avaient rêvé l’abolition du « métro-boulot-dodo ». Elles ont été suivies par la réaction conservatrice des années 80 où les adeptes de Thatcher et Reagan prônaient un retour aux valeurs morales, la rigueur protestante retrouvée servant d’alibi à un néocapitalisme assumé.

La seconde partie — « les temps dégradés » — observe l’avènement de la société des services soutenue par l’explosion du numérique. L’auteur constate la faiblesse de nos modèles politiques en place pour faire barrage à la récupération par les souverainistes et populistes de tous poils du désarroi général que renforcent les frayeurs migratoires et les défis écologiques majeurs.

La troisième partie — « Retour vers le futur » — Daniel Cohen recherche des alternatives crédibles aux dérives populistes, compatibles aux idéaux sociaux-démocrates qu’il défend. Il décrypte l’histoire récente de la société digitale, ses potentialités et ses risques pour identifier des leviers vers un futur acceptable. L’exercice est difficile tant la marge est étroite.
Les promesses du monde numérique peuvent-elles se réaliser sans changer la nature sociale de l’homme ? Evoluer vers l’homo digitalis, entrer dans la matrice semble être la condition pour démultiplier la force de frappe de la société des services et pérenniser le modèle de croissance que nous ne savons plus remettre en question. Le risque est d’y perdre une partie de notre humanité.

Pourquoi ce livre est important, de mon point de vue.
Témoin et acteur privilégié de la révolution informatique, si j’ai souvent perçu le désarroi qu’elle provoquait chez mes proches, j’ai cependant sous-estimé la profondeur du changement économique et social qui accompagne l’ère de l’homo digitalis.

Avec pédagogie et intelligence, ce livre met le projecteur sur la fin de la civilisation industrielle que remplace désormais celle des services.  Si l’avènement du numérique a indéniablement facilité cette transition, il n’est pas la cause première du bouleversement de fond dans lequel nous sommes déjà entrés. Que ce soit la définition du travail, la nature de nos relations sociales, nos modèles économiques  et, plus largement, politiques, nos références sont bousculées au point de justifier un changement radical de paradigme comme condition de l’efficacité de nos réponses à venir.

Le propos de Daniel Cohen n’est pas fataliste. Il nous alerte et nous engage à veiller ensemble à ce que que le rôle du politique reste de protéger l’humanité, de veiller à l’intégrité des personnes et à leur identité, de donner à la collectivité les moyens de s’approprier l’Intelligence Artificielle.
Il nous incite à reprendre l’initiative, à refuser la  délégation implicite de notre gouvernance et de nos systèmes de décision aux machines, bref à nous opposer au modèle par défaut qu’imposent, à notre insu, les nouveaux acteurs du GAFAM, NATU et autres BATX.

 


Notes et commentaires de bas de page :

[1] Jean Fourastié, 1907-1990, économiste français, professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM), connu du grand public pour l’expression « les Trente Glorieuses », reprise du titre de son livre « Les Trente Glorieuses ou la Révolution invisible de 1946 à 1975 » paru en 1979 (éditions Fayard, Paris). L’auteur faisait lui-même référence aux « Trois Glorieuses », les journées révolutionnaires des 27, 28 et 29 juillet 1830.
En juillet 2011, une nouvelle édition avec introduction de Daniel Cohen a été publiée en livre de poche (collection « Pluriel », Fayard, Paris).


L’auteur de cet article est Jacques Cassagnabère.

Sa première version a été publiée le 1er octobre 2018.

Avec l’accord de son auteur, cette version intègre des modifications proposées par la commission éditoriale de ADNE, Groupe de réflexion citoyenne pour une approche éthique du numérique.


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