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Huawei, le géant chinois du numérique dans la tourmente de la crise commerciale sino-américaine.

Huawei est un leader chinois dans le secteur des TIC, notamment fournisseur de solutions numériques en équipement téléphoniques, en communication et en Infonuagique, s’adressant aux entreprises comme aux particuliers. Il est surtout connu du grand public pour son offre de téléphones mobile. Depuis 2018, Huawei est le 2e constructeur mondial de smartphones, le premier étant Samsung et le troisième Apple. La marque au désormais célèbre lotus est installée en France depuis 2003.

Ce nouveau géant du marché numérique est aujourd’hui au cœur du conflit économique qui oppose les gouvernements chinois et américain. Huawei vit aujourd’hui une crise profonde qui peut sérieusement remettre en cause son avenir et qui, dans tous les cas, bouleversera sa stratégie économique.

Rappel du contexte :

Depuis le début des années 2010, les services de renseignement américains soupçonnent Pékin de financer l’installation d’outils de surveillance électronique au cœur des équipements fournis par ses constructeurs Huawei et ZTE.

L’administration Trump insiste sur les dommages causés par l’espionnage économique chinois, à la fois pour communiquer politiquement sur le laxisme de la précédente administration Obama pendant laquelle les installations d’équipements chinois se sont multipliées, et pour en faire un levier dans les renégociations des traités d’échanges bilatéraux sino-américaines dont elle souhaite accélérer le processus. Donald Trump avait fait du déséquilibre dans les traités existants au détriment des intérêts américains un argument de sa campagne et un axe d’intervention prioritaire de sa politique.

À quel point le bannissement du marché américain condamne-t-il Huawei ?

Le 15 mai 2019, Donald Trump signait un décret donnant capacité au Département du Commerce des États-Unis d’interdire les entreprises considérées comme menace pour la sécurité nationale de son pays. Google réagissait immédiatement en annonçant la rupture de ses relations commerciales avec Huawei [1].

Les smartphones d’Huawei, produits phares de l’entreprise, tournent sous le Système d’Exploitation Android, propriété du groupe Alphabet-Google. Bien que ce système s’appuie sur l’open-source, interdire à un équipement l’accès aux extensions logicielles spécifiques de Google le priverait simultanément de l’accès aux services phares tels GoogleMap ou de Youtube [2]. De quoi suffire à bloquer l’expansion de Huawei hors de Chine.
Certes, Huawei dispose de trois à six mois avant un effet nettement perceptible sur son activité : le décret n’est pas rétroactif et ne peut s’appliquer aux équipements déjà fabriqués (vendus ou pas). Par ailleurs, l’entreprise chinoise avait anticipé le risque en lançant le développement son propre système d’exploitation à partir des composants logiciels libres de droits. Son déploiement est annoncé pour la fin 2019 au plus tôt.
Et les conséquences dépassent les seules interdépendances Google :

  • Les autres partenaires économiques américains ont également annoncé devoir se mettre en conformité avec le décret présidentiel (Intel, Microsoft, Qualcomm, Broadcom, …).
  • Les partenaires étrangers, très dépendants du marché américain, sont indirectement contraints par le décret. C’est le cas notamment du britannique ARM, des japonais Toshiba, Panasonic, NTT qui ont déjà annoncé à Huawei leur décision forcée de limiter leurs futures relations commerciales.

L’américain Intel et le britannique ARM sont des fournisseurs clé de composants électroniques. Là encore, Huawei avait également anticipé le risque,  mais en basant leur future indépendance sur le choix technologique des processeurs … ARM ! Si la crise devait se confirmer, la remise en cause de ce choix de contournement pourrait plus durablement pénaliser la marque au lotus.
Indiquons aussi que, bien que moins significative en termes de chiffre d’affaire, l’indisponibilité du système d’exploitation Microsoft-Windows remet radicalement en cause la stratégie de la branche PC d’Huawei (sa gamme « Matebook »).
Se pose également aujourd’hui la question de l’exclusion de Huawei des nombreuses organisation internationales de normalisation de l’industrie numérique où les géants américains sont très influents. Citons par exemple WiFi Alliance, SD Association (cartes mémoires), Bluetooth SIG ou JEDEC (Joint Electron Device Engineering Council).

Quels sont les risques de la stratégie présidentielle pour les États-Unis ?

A l’évidence, l’accusation d’espionnage est aussi prétexte. Comment expliquer autrement l’attitude pour le moins ambiguë de Donald Trump qui, le jeudi 23 mai 2019 , après avoir rappelé  combien « Huawei est dangereux, quand on regarde ce qu’ils ont fait du point de vue de la sécurité ou du militaire« , déclarait « […] Si on obtient un accord, j’imagine que Huawei y sera inclus d’une manière ou d’une autre » ? Pour le Président, le commerce primerait-il donc sur la sécurité des Etats-Unis ?

Huawei plaide donc contre l’atteinte grave que le décret de Trump porte à la liberté d’entreprendre et à la libre concurrence, principes pourtant chers au dogme libéral américain.

Derrière une stratégie dure de renégociation, la presse économique internationale n’est pas dupe de l’autre enjeu que représente la bataille pour une supériorité technologique sur un marché où la Chine est désormais un acteur majeur. La concurrence entre chinois et américains est déjà rude sur plusieurs domaines essentiels tels que la fabrication des équipements, les télécommunications ou la production des micro-processeurs. C’est justement le positionnement de Huawei.
Si le blacklistage de cette marque a pour objectif associé la défense de l’hégémonie de l’industrie américaine, cette stratégie est risquée et rappelle le fusil à un coup, arme a-priori  efficace, à la condition que la cible visée soit effectivement abattue.
Au delà du fait que le géant Huawei s’en remettra très certainement – il dispose aujourd’hui d’énormes moyens financiers et il gardera de toute façon le support de la puissance chinoise et de son marché – l’histoire marquera durablement les esprits :

  • Constater que les grands principes libéraux sont un leurre accélèrera la réflexion sur l’indépendance toute relative des autres espaces économiques – dont l’Europe – vis-à-vis du monopole américain.
  • Forcer ou accélérer l’arrivée d’une solution alternative à l’offre des géants américains remettrait en cause le monopole de fait de ces derniers. Le marché trouverait globalement son intérêt à l’existence d’une telle concurrence.

Par ailleurs, le gouvernement chinois dispose de moyens de rétorsions immédiats pouvant nuire aux intérêts numériques américains. C’est aujourd’hui un centre de production important de composants et de produits électroniques à destination des distributeurs américains dont l’exemple le plus évident est Apple. L’hégémonie chinoise dans la production des terres rares essentielles à l’industrie numérique est un autre atout de taille. La stratégie de Pékin est cependant plus subtile et plus mesurée et aucune menace n’a encore été explicitement évoquée.

Quels sont les conséquences pour le marché européen ?

Les conséquences pour les consommateurs européens sont faibles. Les utilisateurs d’équipements Huawei pourront continuer à les utiliser jusqu’à leur obsolescence programmée. Tout au plus, ils ne bénéficieront plus des futures versions des systèmes d’exploitation Google – Android – ou de Microsoft – Windows. Les inconditionnels de la marque bénéficieront probablement de promotions exceptionnelles pendant la période de transition et de rétablissement de l’offre Huawei.

Nombreux également sont ceux qui annoncent un retard probable du déploiement de la 5G. Il sera difficile cependant de faire la part des délais imputables à la crise sino-américaine de celle à mettre sur le compte du programme de ce réseau lui-même.

A quelques rares exceptions, les conséquences directes sur les entreprises européennes du marché numérique seront faibles.

À la leçon de cette histoire, on peut également rêver à un sursaut des consciences pour défendre le développement de solutions et de services indépendants européens.

Les faits d’espionnage sont-ils prouvés ?

Le directeur du FBI déclarait au « Council on Foreign Relations » à Washington [3]. « Aucun pays ne représente une menace plus vaste et plus grave que la Chine en matière de collecte de renseignements […]. Elle le fait par l’intermédiaire des services de renseignement chinois, d’entreprises d’État, de sociétés soi-disant privées, d’étudiants diplômés et de chercheurs, de divers acteurs qui travaillent tous pour le compte de la Chine. »

La possibilité d’utiliser des Portes Dérobées logicielles pour récupérer des informations n’est plus à démontrer. Tout composant logiciel  a potentiellement des failles que les services de sécurité américains n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser pour leur propre compte. En 2013 déjà, Edward Snowden a révélé comment la NSA détournait les routeurs américains CISCO pour surveiller tout le trafic de l’Internet. On se souvient également du scandale à la révélation de l’écoute du téléphone personnel d’Angela Merkel par ces grandes oreilles.

Mais, au-delà des affaires en cours mettant en cause Pékin, l’accusation spécifique contre Huawei porte sur un espionnage effectif organisé et réalisé par cette dernière contre les intérêts des États-Unis. Le dossier connu semble s’appuyer sur un faisceau de présomptions, notamment sur les actions lancées par d’autres états tiers.

  • Une enquête est en cours aux Pays-Bas pour démontrer l’utilisation effective des produits de Huawei à des fins de surveillance ou d’espionnage au bénéfice de la Chine.
  • En Pologne, un cadre de la filiale locale Huawei a été arrêté pour espionnage [4]. .
  • Au Canada, d’autres cadres de Huawei ont fait l’objet de poursuites pour fait d’espionnage ou d’entrave pour le compte de Pékin. C’est en particulier le cas de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei et fille du fondateur de l’entreprise, arrêtée au Canada à la demande des États-Unis. [5].

Huawei a toujours nié toute participation à une opération d’espionnage de quelque nature que ce soit. Ses communiqués considèrent ces accusations et les mesures de rétorsion qui les accompagnent comme relevant de la seule approche agressive du président Trump qui vise à forcer et stresser la renégociation des traités d’échanges bilatéraux.

Notes et commentaires additionnels :

[1] Voir l’article de l’Usine Digitale du 20 mai, »Google coupe l’accés de Huawei à ses services suite au blacklistage du gouvernement américain« .

[2] Youtube est entré sous le giron de Google en octobre 2006.

[3] Wall Street Journal et l’Opinion, Aruna Viswanatha et Dustin Volz 29 avril 2019, en ligne à 17h45.

[4] Voir Le monde avec AFP, article publié le 12 janvier 2019.

[5] Moins que sur de l’espionnage, ce dossier porte l’accusation de non-respect présumé par Huawei des embargos contre la Corée du Nord et contre l’Iran. Au jour de publication de l’article, Mme Wanzhou est assignée à résidence au Canada, dans l’attente d’une décision d’extradition.

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L’auteur de cet article est Jacques Cassagnabère

Sa version initiale a été publiée le 30 mai 2019

Avec l’accord de l’auteur, l’article publié intègre les modifications proposées par la commission éditoriale du site Adnethique.org

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